Par J. FAIDHERBE*
 
La cholestase intrahépatique de la grossesse (CIG) est une affection hépatique spécifique de la grossesse caractérisée par un prurit maternel du troisième trimestre, une élévation des acides biliaires sériques mettant en jeu le pronostic fœtal dans bon nombre de cas. L’étiologie en est complexe et non complètement élucidée. Cependant, elle semble résulter de l’effet cholestatique des hormones stéroïdiennes de la grossesse chez des patientes présentant un terrain génétique préexistant. Les mécanismes de survenue des complications fœtales sont également mal connus. Le traitement par l’acide ursodésoxycolique (AUDC) est actuellement reconnu par tous.

1 – Diagnostic positif chez la mère

1. La maladie est le plus souvent bien tolérée chez la mère.

  • La prévalence :
L’incidence de la CIG varie de façon importante entre les différents pays du monde. Elle est fréquente en Amérique du sud et en particulier au Chili où on la retrouve chez 10% des femmes enceintes avec une fréquence particulièrement élevée chez les descendants des Indiens Araucanian (28%). Ce taux semble diminuer ces dernières années en Amérique du sud probablement en raison des modifications de facteurs environnementaux.
En Europe le taux est de 1% environ avec des valeurs légèrement plus hautes en Finlande et en Suède en période hivernale.
On note des taux à 20-22% dans les grossesses gémellaires et discrètement plus élevés en cas de grossesses survenues après PMA (2,7% versus 0,7%).
Les lithiases biliaires sont plus fréquentes dans les familles de femmes atteintes, avec également la notion de vomissements du premier trimestre plus prolongés chez ces patientes.
  • L’interrogatoire permet de mieux appréhender les données de la physiopathologie :
La récidive au cours des grossesses est souvent expliquée par des données génétiques.
La prédisposition génétique a été évoquée suite à l’observation, chez les mères d’enfants atteints de cholestase intrahépatique fibrogène familiale (progressive familial intrahepatic cholestasis) de type 3 (PFIC3), de cholestase au cours de leur grossesse. Cette constatation a permis de mettre en évidence le rôle du gène ABCB4 (ou multirésistance 3, MDR 3) dans la cholestase intrahépatique gravidique. Dans ces familles, des mutations du gène ABCB4 ont été retrouvées à l’état homozygote chez les enfants atteints de PFIC3 et à l’état hétérozygote chez les femmes souffrant de CIG. Le gène ABCB4 code une glycoprotéine située dans la membrane canaliculaire des hépatocytes et celle-ci est impliquée dans l’excrétion de la phosphatidylcholine qui est l’une des lécithines les plus importantes dans la physiologie. Cette phosphatidylcholine en cas de déficit au niveau canaliculaire, entraîne des lésions biliaires. À ce jour, dix mutations différentes du gène ABCB4 ont été identifiées. Des mutations du gène ABCB4 sont plus fréquemment retrouvées chez des femmes ayant développé une cholestase intrahépatique gravidique. Cependant la CIG est vraisemblablement une ma­ladie multigénique car des mutations sur d’autres gènes codant pour des protéines impliquées dans les transports hépato-biliaires ont également été identifiées.
Cliniquement, la cholestase intrahépatique s’oppose à la cholestase extrahépatique par obstruction ou compression de la voie biliaire principale. Parmi les cholestases intrahépatiques, les causes infectieuses dues aux hépatites sont accompagnées d’une cytolyse due à l’atteinte virale. Par contre, dans la cholestase gravidique intrahépatique il s’agit d’un trouble de la sécrétion de certains composants de la bile au niveau de l’hépatocyte dont l’appareil enzymatique est déficient avec une excrétion intra-canaliculaire de la bile ne n’effectuant pas correctement. Il n’y a pas de cytolyse majeure dans les formes de CIG.
  • Les facteurs hormonaux :
Les facteurs hormonaux et notamment les œstrogènes sont prépondérants pour dévoiler cette atteinte enzymatique au niveau de l’excrétion biliaire. La grossesse gémellaire majore la cholestase, l’utilisation de la pilule oestro-progestative, riche en éthinyl-oestradiol peut conduire à une reprise des signes de cholestase. Enfin, l’utilisation, en quantité importante de la progestérone micronisée dans le traitement des menaces d’accouchement prématuré, a permis de constater, lorsque ces prescriptions avaient lieu, il y a quelques années, l’apparition de cholestases.
  • Les facteurs génétiques sont donc le plus souvent révélés par la grossesse :
Souvent sous-jacents, ils perturbent le métabolisme de l’hépatocyte. Ce déficit latent ne s’exprime que sous l’effet de l’imprégnation massive en stéroïdes au cours du troisième trimestre de la grossesse, plus rarement à la fin du second trimestre.
  • Les facteurs exogènes sont sans doute présents car on note une variation saisonnière (facteurs alimentaires ou environnementaux).

2. Le maître symptôme clinique est le prurit (90%), parfois sévère, apparaissant le plus souvent au troisième trimestre, rarement accompagné d’un ictère (10%) ou d’une stéatorrhée responsable de déficit en vitamine K.

  • Le déficit en vitamine K peut être responsable d’une majoration des hémorragies de la délivrance et doit être anticipé en prescrivant de la vitamine K en parentéral si le TP est abaissé.

3. Les examens biologiques sont dominés par le dosage puis le monitorage des sels biliaires pendant la surveillance sous traitement.

La fonction hépatique pendant la grossesse normale ne montre que peu de changements comparée à une femme non-gravide. Cependant, les valeurs des transaminases (ALAT, ASAT) sont souvent légèrement plus basses pendant la grossesse normale de l’ordre de 20% environ ; de même pour les gamma-GT (GGT). La bilirubine totale et conjuguée est légèrement abaissée au cours des trois trimestres de la grossesse. Par contre, la bilirubine conjuguée est plus basse au second et au troisième trimestre.
Les transaminases sont localisées dans l’hépatocyte et leur élévation, même légère, suggère une altération cellulaire hépatique. Dans la CIG, l’élévation des transaminases peut précéder l’apparition des chiffres élevés d’acides biliaires ou bien apparaître après. Ce sont les ALAT les plus spécifiques de la CIG et ils peuvent augmenter de deux à dix fois la normale. La bilirubine est le plus souvent normale, ainsi que les gamma-GT et leur élévation doit faire évoquer une altération hépatique due à la maladie génétique sous-jacente éventuelle. Les phosphatases alcalines sont peu interprétables en raison de l’abondance des isoformes d’origine placentaire qui rendent ces phosphatases de faible valeur séméiologique.
Le dosage des sels biliaires chez la femme enceinte est inférieur à 10 micromoles par litre, seuil normal à retenir. En fait, 40% de femmes asymptomatiques peuvent voir leur dosage de sels biliaires dépasser 10 micromoles/litre de façon fugace et occasionnelle. (Fig. 1)
2013 Sels biliaires
Figure 1
En pratique, une femme symptomatique avec des taux compris entre 10 et 40 micromoles/litre sera considérée comme dans une forme modérée qui nécessitera une surveillance et un monitorage.
Les formes sévères concernent les patientes dont les taux dépassent 40 micromoles/litre. Ce seuil est celui où l’on considère les risques fœtaux comme majeurs et une extraction sera décidée dès que l’âge gestationnel le permettra.
Sur un travail portant sur 216 femmes enceintes saines, 98% avaient des chiffres compris entre 0,3 et 9,8 micromoles-litre pendant leur grossesse, avec une légère augmentation des sels biliaires en fin de grossesse.
Le dosage des sels biliaires sériques est actuellement considéré comme le marqueur biochimique le plus adapté pour le diagnostic, mais également pour le suivi des CIG.
Leur dosage peut être associé au calcul du ratio acide cholique/acide désoxycholique (Delursan) qui est souvent précocement perturbé dans la CIG.
En effet, chez une patiente saine, enceinte ou non, la conjugaison des sels biliaires principaux se fait avec un acide aminé principalement, la glycine ; la conjugaison avec la taurine est moins importante(1,4 +/- 0,1), alors que dans la CIG, la conjugaison se fait préférentiellement avec la taurine (ratio = 0,8 +/- 0,1). Parallèlement l’acide cholique qui ne représente que 45% des acides biliaires primaires peut atteindre 60 à 70% au cours de la cholestase. Par conséquent, le ratio dans la CIG, entre acide cholique et acide désoxycholique est toujours supérieur à 1, ce qui serait spécifique de la CIG. (Fig. 2)2013Deficit
Figure 2
2013Cycle entero

Figure 3

Il est à noter que l’une des actions notables de l’acide ursodésoxycholique est de modifier le caractère hydrophile de la bile et d’abaisser le taux d’acides biliaires primitifs dans le sérum. En augmentant la part de l’acide ursodésoxycholique, qui est un acide tertiaire peu abondant chez l’homme, au niveau du pool biliaire de l’organisme maternel mais aussi fœtal, on induit une amélioration du métabolisme biliaire et une réduction de l’accumulation des sels biliaires dans les compartiments maternel et fœtal.
Le dosage est en général fait le matin à jeun ; cependant, il n’y a pas de consensus sur le moment où le prélèvement doit être fait. A jeun, l’examen est facile à pratiquer en pratique clinique, mais certains auteurs ont souligné l’augmentation du taux de sels biliaires lorsque le prélèvement est réalisé après un repas test. Cette pratique, plus difficile à mettre en place en pratique courante aurait l’intérêt de différencier les formes modérées, des formes normales.
Le dosage urinaire peut conforter le diagnostic : Les urines dans les CIG montrent des sels biliaires primaires augmentés de 10 à 100 fois la normale avec, lorsqu’ils sont différenciés, des sels biliaires secondaires en moindre quantité. Ce détail concernant le profil urinaire est très en faveur d’une origine hépatique primitive intra-canaliculaire explicitant la pathogénie de la CIG et peut également éclairer sur les désordres de réabsorption existant au niveau du cycle entéro-hépatique. (Fig. 3)
En pratique, cette différenciation des différents sels n’est pas utilisée.

4. Les autres examens complémentaires :

L’échographie hépatique, normale dans la cholestase gravidique, a pour intérêt essentiel d’éliminer une pathologie vésiculaire (lithiases vésiculaires) ou de la voie biliaire principale.
La biopsie hépatique lorsqu’elle est faite, mais inutile dans la forme habituelle, montrerait des lésions de cholestase pure avec des dépôts de pigments biliaires canaliculaires et intra-hépatocytaires prédominant dans la région centro-lobulaire. Les espaces portes restant normaux.

2 – Les conséquences fœtales

Chez l’enfant, le risque de mort fœtal en fin de grossesse est réel, associé à un risque de prématurité
Le risque fœtal associe :
  • Un risque de mort fœtal.
La MFIU est d’autant plus redoutée qu’elle peut survenir à tout moment chez un enfant eutrophe dont la surveillance est normale (RCF, mouvements fœtaux actifs, Manning, Sels biliaires maternels < 40 micromoles/L).
La fréquence des MFIU varie de 0 à 7% pour un taux de 1 à 2% retenu par la plupart des auteurs.
Le décès du fœtus pourrait être expliqué par toxicité de certains acides biliaires, avec une action de vasoconstriction veineuse, de toxicité myocardique, mais pas d’insuffisance placentaire car les enfants sont le plus souvent eutrophes sans trouble doppler retrouvé. Ce risque survient pour des taux supérieurs à 40 micromoles par litre, plus exceptionnellement pour des taux inférieurs. (Fig. 4)
2013Deces-enfants CIG
Figure 4
  • Une prématurité dont la pathogénie est expliquée par la maladie elle-même.
Sa fréquence varie de 19 à 60%. Elle serait expliquée par la toxicité des acides biliaires.
  • Une détresse néonatale.
Le risque est réel et estimé à 2,5 fois plus fréquent qu’au cours d’un accouchement normal.
Pour expliquer en partie ces risques, on retiendra que les acides biliaires et notamment l’acide cholique, le moins hydrophile, s’accumulent dans le compartiment fœtal.
En effet, pendant la CIG, le haut niveau de concentration d’acides biliaires dans le compartiment fœtal a pour origine les sels maternels d’origine sérique.
L’augmentation des acides biliaires dans le sérum maternel puis dans le colostrum, explique que dans la CIG, le flux materno-fœtal soit augmenté. Les acides biliaires semblent rejoindre le compartiment fœtal par le cordon ombilical et par voie transplacentaire. L’accumulation des acides biliaires dans le sérum fœtal, dans le méconium et dans le liquide amniotique contribue à stimuler en excès le système transplacentaire de transport membranaire des acides biliaires. On a donc ici, un équilibre précaire avec, d’un côté une augmentation du flux vers le fœtus et, de l’autre côté, les possibilités réduites du fœtus à éliminer certains acides biliaires hydrophobes en raison d’une immaturité hépatique et d’une défaillance du système placentaire à assurer un flux foeto-maternel efficace.
Du point de vue thérapeutique, il est démontré que l’acide ursodésoxycholique peut occuper une place importante du pool des acides biliaires fœtaux et assurer une normalisation de la balance materno-fœtale au niveau des flux grâce à ses propriétés propres.
De plus, l’acide ursodésoxycholique n’est pas toxique pour l’enfant.
Sa prescription est donc recommandée en première ligne thérapeutique et peut être prolongée en post-partum chez la femme allaitante.

3 – Diagnostic étiologique et différentiel

1. Les étiologies ne répondent pas à une cause univoque mais à l’association de plusieurs facteurs hormonaux et génétiques :

Il est classique de dire que l’étiologie de la cholestase est mal connue, il faut en fait replacer ce désordre dans un cadre multifactoriel.
Les cas familiaux, la prévalence particulièrement importante dans certains pays ou certaines populations ainsi que la récurrence de la cholestase dans les grossesses ultérieures, évoquent une prédisposition génétique.
Les mutations des complexes membranaires de transport des phospholipides, ABCB4 (MDR3), qui régulent la sécrétion biliaire du principal phospholipide de l’organisme (la phosphatidylcholine – lécithine), ont été estimées à environ 15% de tous les cas de cholestase gravidiques.
D’autres études disponibles de biologie moléculaire suggèrent que d’autres transporteurs membranaires ABC de l’hépatocyte, la pompe exportant les sels biliaires (BSEP), ABCB 11, et le transporteur membranaire des aminophospholipides (FIC1), ATP8B1, sont plus rarement impliqués dans la pathogénie des cholestases gravidiques.
Les constatations cliniques sont en faveur du rôle des œstrogènes dans l’initiation de la cholestase pendant la grossesse.
La cholestase apparaît le plus souvent au dernier trimestre de la grossesse et disparaît après l’accouchement. Elle peut réapparaître à l’occasion d’une contraception orale par
oestro-progestatifs. La progestérone est elle aussi incriminée pour son rôle possible dans la cholestase.
Enfin des variations saisonnières de l’incidence de la cholestase gravidique et des augmentations en cas de carences alimentaires corrigées par l’alimentation, font évoquer des facteurs nutritionnels comme le déficit en oligo-éléments (sélénium).

2. Devant un prurit parfois associé à un ictère et des perturbations biologiques des transaminases, il faut éliminer en premier lieu les pathologies suivantes :

  • Une pathologie dermatologique de la grossesse et notamment un PUPPP (pruritic urticarial papules and plaques of pregnancy).
  • Une réaction allergique.
  • Un prurit d’origine rénal.
  • Un prurit d’origine hématologique comme dans la ma­ladie d’Hodgkin ou une polycythémie.
  • En cas d’élévation des enzymes hépatiques, il faut différencier la cholestase gravidique de l’hyperémésis gravidarum qui apparaît au premier trimestre. En fin de grossesse, on évoquerait plutôt une stéatose hépatique, une pré-éclampsie avec ou sans HELPP (si les plaquettes sont abaissées).
  • Quel que soit l’âge de la grossesse, une hépatite virale, une hépatite alcoolique, une lithiase biliaire obstructive, une cirrhose biliaire primitive ou une cholangite sclérosante primitive.

4 – Traitement

1. Les bases du traitement

La digestion nécessite pour l’assimilation des graisses (cholestérol, acides gras, monoglycérides) des émulsifiants qui permettent leur solubilisation au niveau de l’intestin grêle. La bile répond à cette fonction grâce à un mélange ternaire de cholestérol, de lécithines et de sels biliaires.
Au moment du repas et à la suite de la sécrétion de la cholécystokinine, la vésicule biliaire libère la bile dans le duodénum avec, en particulier, des sels biliaires qui permettront de constituer des micelles transportant les graisses jusqu’aux entérocytes pour leur digestion.
Les sels biliaires sont issus de la conjugaison hépatique de l’acide cholique essentiellement et de l’acide chénodésoxycholique. La conjugaison se fait avec la glycine et la taurine selon un ratio qui est très en faveur de la glycine. Cela conduit à la synthèse de sels biliaires primaires qui sont excrétés puis réabsorbés. Les sels primaires sont auparavant déconjugués et réduits par les bactéries digestives coliques permettant, après leur rôle digestif, d’être réabsorbé. Les sels biliaires secondaires, moins abondants, sont le résultat de la conjugaison hépatique par la glycine ou la taurine, des sels réabsorbés lors du cycle entéro-hépatique (Fig. 5). Les sels tertiaires en faible quantité, essentiellement l’acide ursodésoxycholique, sont le résultat de la réoxydation de l’acide lithocholique, acide biliaire secondaire, produit de dégradation du chénodésoxycholate.
2013Acideursodesoxycholique
Figure 5

2. L’acide ursodésoxycholique (AUDC)

Cet acide ursodésoxycholique est surtout présent dans certaines espèces comme l’oie ou l’ours d’où son appellation. C’est un isomère de l’acide chénodésoxycholique, dont la fonction alcool secondaire du carbone 7 est orientée vers l’espace bêta. (Fig. 5)
Par sa conformation moléculaire et son caractère hydrophile, son action est différente ; il possède ainsi des particularités très utilisées dans les cholestases en inhibant la biosynthèse du cholestérol, en facilitant la solubilisation du cholestérol dans la bile et en favorisant l’élimination des sels biliaires au niveau du compartiment fœtal.

3. Actuellement parmi tous les traitements utilisés, l’acide ursodésoxycholique est le plus efficace

Dans un groupe randomisé de 84 patientes symptomatiques étudiées, l’AUDC à 8-10 mg/kg par jour, fut comparé à la cholestyramine à 8 g/j, et cela pendant 14 jours. Le prurit est significativement diminué dans le groupe AUDC. De même, le niveau en sels biliaires endogènes et le dosage des transaminases étaient significativement abaissés après traitement par acide ursodésoxycholique. De plus, dans ce même groupe, les patientes accouchèrent plus près du terme.
D’autre part, il faut noter que l’association de l’acide ursodésoxycholique et de la cholestyramine n’améliore pas le résultat thérapeutique.
Dans un deuxième groupe, une étude en double-aveugle contre-placebo, a comparé AUDC (1g/jour pendant 3 semaines) et déxaméthasone (12 mg/jour pendant une semaine) chez 130 patientes présentant une cholestase gravidique. L’étude a montré une amélioration des chiffres des transaminases et de la bilirubine dans le groupe AUDC indépendamment de la sévérité de la cholestase, mais aussi une significative amélioration sur le prurit dans le sous-groupe des patientes traitées par AUDC dont le niveau sérique d’acides biliaires excédait 40 micromoles/l à l’inclusion de l’étude. A l’inverse, la déxaméthasone n’a pas fait disparaître le prurit, avec de plus, une baisse moins prononcée du niveau sérique de sels biliaires et des transaminases dans ce dernier groupe.
L’AUDC semble être bien toléré par la femme enceinte et aucun effet néfaste chez la mère ou l’enfant ne semble rapporté.
Le mécanisme par lequel agit l’AUDC n’est pas totalement élucidé :
Il semble améliorer la sécrétion défaillante de l’hépatocyte maternel par la stimulation de la protéine-clef du transport canaliculaire et cela pour les produits de conjugaison, MRP2 (ABCC2), mais aussi au niveau de la pompe membranaire d’exportation des sels biliaires, BSEP (ABCB11).
Il est a noté que certains travaux ont montré sur des modèles animaux de cholestase que l’acide ursodésoxycholique peut agir de façon privilégiée en favorisant préférentiellement l’insertion de ces transporteurs protéiques au niveau de la membrane canaliculaire. Cette action sur la membrane hépatocytaire facilite l’élimination des métabolites des acides biliaires et d’autres anions organiques comme les stéroïdes sulfoconjugués. Ce mécanisme direct au niveau membranaire, crucial pour la compréhension de l’action bénéfique de l’AUDC dans la cholestase gravidique explique l’action de cette molécule dans la cholestase gravidique.
Il faut ajouter qu’il a également un rôle au niveau fœtal en ayant un net effet de restauration des flux d’acides biliaires au niveau trophoblastique. En effet, la cholestase gravidique peut altérer le trophoblaste par l’intermédiaire des effets délétères des sels biliaires en excès. L’AUDC est un médiateur efficace sur l’action des protéines membranaires en favorisant le transport membranaire au niveau plasmatique et permet ainsi une meilleure excrétion placentaire des sels biliaires du compartiment fœtal. (Fig. 6)
2013Metaanalyse
Figure 6

4. La durée des traitements

Le traitement par AUDC est institué dès que le diagnostic de cholestase est confirmé et après avoir éliminé les autres causes de cholestase.
Le traitement est efficace rapidement avec une amélioration des tests hépatiques en 7 à 15 jours.
La posologie est de 1 g par jour en deux prises de 500 mg.
Certains utilisent un traitement transitoire, mais la majorité des auteurs recommande de traiter jusqu’à l’accouchement. Le traitement en post-partum est souvent arrêté avec cependant un avis favorable noté par la plupart des auteurs pédiatriques sur l’innocuité de la molécule chez l’enfant.
La cholestyramine qui est une résine échangeuse d’ions. Sa posologie est de 8 à 16 g/jour. Son utilisation a nettement diminué depuis la généralisation de l’acide ursodésoxycholique.
La déxaméthasone et la S-adénosyl-méthionine ne semblent pas avoir d’efficacité suffisante pour continuer à être prescrites.
Les plasmaphérèses ont été proposées dans les formes précoces et sévères pour éloigner l’échéance d’une prématurité trop précoce.

5. La surveillance du traitement

Elle se fait en hospitalisation à partir de 36 SA en raison du risque fœtal. Les éléments de surveillance habituels sont : Quantification du prurit, MFA, RCF trois fois par jour, examens biologiques sanguins (TP, transaminases, bilirubine, et acides biliaires) deux fois par semaine.

6. La conduite à tenir en fin de grossesse

L’hospitalisation s’envisage habituellement dés la 36ème SA, compte tenu du risque de mort fœtale in utero.
La normalité des différents examens de bien-être fœtal étant la règle, la décision est souvent posée sur l’élévation des sels biliaires supérieurs à 40 micromoles/L ou la présence d’un ictère avec élévation de la bilirubine totale supérieure à 18 mg/l environ.
La majorité des auteurs préconisaient donc un déclenchement à 37 SA lorsque les signes de maturité pulmonaires étaient atteints.
Cependant, pour certains auteurs une remise en question de l’attitude prophylactique d’extraction systématique vers 37 SA a été discutée et cela avec l’apparition du traitement par acide ursodésoxycholique.
Si celui-ci était efficacement mis en place et associé à une normalisation du tableau clinique et biologique, une attitude plus expectative était proposée. En faveur de cette attitude, on opposait la morbidité maternelle et fœtale induite par un déclenchement trop précoce ou les séquelles possibles d’une césarienne prophylactique pratiquée avant le terme.
Actuellement, la prudence demeure et l’on s’oriente dans tous les cas vers une attitude prudente sans dépasser le terme de 39 SA, date à laquelle les conditions obstétricales sont en général réunies pour un déclenchement.

Pour en savoir plus

  1. Reference standard for serum bile acids in pregnancy. Egan N, Bartels A, Khashan AS, Broadhurst DI, Joyce C, O’Mullane J, O’Donoghue K. BJOG. 2012 Mar;119(4):493-8. doi:10.1111/j. 1471-0528. 2011.03245.x. Epub 2012 Jan 18.
  2. Genetics of familial intrahepatic cholestasis syndromes. van Mil SW, Houwen RH, Klomp LW. J Med Genet. 2005 Jun;42(6):449-63.
  3. Intrahepatic cholestasis of pregnancy: changes in maternal-fetal bile acid balance and improvement by ursodeoxycholic acid. Brites D. Ann Hepatol. 2002 Jan-Mar;1(1):20-8.
  4. Obstetric cholestasis: outcome with active management. Roncaglia N, Arreghini A, Locatelli A, Bellini P, Andreotti C, Ghidini A. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol. 2002 Jan 10;100(2):167-70.
  5. Fetal outcomes in pregnancies complicated by intrahepatic cholestasis of pregnancy in a Northern California cohort. Rook M, Vargas J, Caughey A, Bacchetti P, Rosenthal P, Bull L. PLoS One. 2012;7(3):e28343. Epub 2012 Mar 5
  6. Genetic evidence of heterogeneity in intrahepatic cholestasis of pregnancy. Savander M, Ropponen A, Avela K, Weerasekera N, Cormand B, Hirvioja ML, Riikonen S, Ylikorkala O, Lehesjoki AE, Williamson C, Aittomäki K. Gut. 2003 Jul;52(7):1025-9.
  7. A second heterozygous MDR3 nonsense mutation associated with intrahepatic cholestasis of pregnancy. Gendrot C, Bacq Y, Brechot MC, Lansac J, Andres C. J Med Genet. 2003 Mar;40(3):e32.
  8. [Management of obstetric cholestasis in France: A national survey of obstetrical practice]. Arlicot C, Le Louarn A, Bacq Y, Potin J, Denis C, Perrotin F. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris). 2012 Apr;41(2):182-93. Epub 2011 Dec 20.

* Dr J. FAIDHERBE Vice-Président du SYNGOF – Pôle Praticien hospitalier
CHRU Arnaud de Villeneuve – MONTPELLIER

Conflits d’intérêts : Néant

Revue n°91 – Décembre 2012 – Cholestase gravidique

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