Les sages-femmes et la sécurité de la naissance

Le caractère indispensable du rôle joué par les sages-femmes dans le monde de la santé des femmes est un truisme qui a du mal à être reconnu par tous. Ce paradoxe trouve son origine dans l’histoire de la médecine et dans la place des femmes dans notre société. En France, longtemps indépendantes, les sages-femmes sont passées sous l’autorité des accoucheurs au cours de la deuxième partie du 20ème siècle, avec la naissance de l’obstétrique médicalisée du monde moderne qui se pratique dans les maternités. Cela a défini les conditions de la sécurité de la naissance.

Comment est née l’idée des maisons de naissance

En France où les résultats périnataux et de mortalité maternelle ne sont pas les meilleurs d’Europe, la sécurité est un sujet sensible. L’évolution des conditions de la naissance, depuis la fin du siècle dernier se fait vers une concentration de l’offre : 1757 maternités en 1972 à 535 en 2010, au double motif de la sécurité et des coûts de structure. On voit se développer de «super-maternités» qui accouchent plus de 3000 femmes annuellement. Ici se concentre à la fois le progrès médical et technologique appliqué à la naissance. Cette évolution n’a laissé que peu de place, dans bien des structures mais pas dans toutes, à l’intimité, à l’accueil des familles, au déroulement physiologique du travail de l’accouchement qui sont l’esprit des maisons de naissance. Les résultats périnataux stagnent en France depuis 2005. Les données de la Cochrane révèlent que cet interventionnisme produit une iatrogénie mesurable. La demande de structures dédiées à l’accouchement normal est minoritaire en France, comme dans les pays qui l’ont adopté il y a des années.

L’émancipation des sages-femmes

Le début du 21ème siècle a vu le nombre de sages-femmes exploser en France, elles sont en 2013 plus de 20 000, 12 000 sont salariées, les autres tentent de vivre en libéral. Métier à 90% féminin, les sages-femmes restent étiquetées métier de service féminin, contrôlé par l’administration c’est-à-dire peu payé et corvéable à merci. Les mouvements de protestations des sages-femmes qui se sont développés ces dernières années ont permis une prise de conscience institutionnelle de la volonté de reconnaissance de cette profession. La maïeutique moderne se revendique, comme un retour de balancier de l’histoire, indépendante et détachée de l’autorité des obstétriciens. S’appuyant sur le constat que 80% au moins des grossesses sont de déroulement normal, elles se proposent d’en être les professionnelles reconnues. L’aspect le plus abouti de cette autonomie est « la maison de naissance », lieu dépourvu de médecins où exercent exclusivement des sages-femmes.

« Retour à l’obscurantisme » crient les uns, « demande des mères » clament les autres   

Une loi de décembre 2013 a autorisé l’expérimentation de ces nouvelles structures selon un cahier des charges précis fixé par la HAS et dont les décrets d’application viennent de paraître. Le rationnel de cette expérimentation repris dans le cahier des charges de la HAS est le suivant : Les données internationales de la Cochrane démontrent que les accouchements normaux, totalement assurés par des sages-femmes sont moins délétères que ceux réalisés dans les structures médicalisées modernes qui deviennent progressivement la règle en France. Cela à la condition première d’une sélection drastique des parturientes, toutes volontaires et dûment informées, suivies et accouchées dans ces structures et d’un partenariat étroit avec une unité d’obstétrique médicalisée capable d’assurer, à tout moment une intervention sans délai sur des patientes que seules les anesthésistes auront consulté préalablement.

L’expérimentation, un choix raisonné

Le choix d’une expérimentation permet de s’affranchir des contraintes financières qui ont contribué au gigantisme des maternités modernes : la maison de naissance comprend une sage-femme qui consulte, accouche, et procure les soins postnatals dans les heures qui suivent l’accouchement, elle est payée à l’acte. Une autre sage-femme doit être présente lors de l’accouchement pour l’assister, elle est financée tout comme la structure par un fonds spécial d’intervention régional (FIR) dont les tarifs ne sont pas encore fixés. On constate que l’assurance maladie ne paie pas la sécurité exigée par le cahier des charges. Ces activités prennent du temps pour chaque parturiente, gage de qualité et de sécurité, au maximum un accouchement journalier, ce sont des limites dans la littérature à ce type de structure (350/an).

La maison de santé n’est pas un établissement de santé

C’est une structure juridique indépendante, elle n’héberge pas les parturientes, le séjour est donc très court, inférieur à 24h après la naissance. La sage-femme peut y être salariée ou exercer en libéral. Dans ce cas le prix de l’assurance RCP reste un problème non résolu. (Il faut 100 accouchements pour payer une prime de 30 000€), comme de 25 à 50% des femmes seront in fine accouchées à l’extérieur de la maison de naissance, il ne reste alors que les honoraires de surveillance pour la rémunérer. Les sages-femmes y suivent la grossesse de chacune de leurs patientes avant de les accoucher. Il y a une personnalisation du suivi.

La réticence des obstétriciens

Un des points le plus difficile sera de trouver des équipes obstétricales, hospitalières qui acceptent et soient capables de maintenir, en plus de leur activité soutenue, une équipe disponible H 24, pour parer à la demande de soulagement ou d’assistance médicale, mais aussi de l’urgence qu’elle découvrira au dernier moment, c’est-à-dire dans les moins bonnes des conditions pour exercer sereinement. Ce dernier point est celui qui dérange le plus les obstétriciens responsables des salles de naissance car c’est sur eux que reposera la gestion aveugle du haut risque. La première règle de l’obstétrique moderne : anticiper, n’est pas respectée.

L’évaluation de cette expérimentation

prévue structure par structure après 2 ans de fonctionnement est confiée à l’ARS selon des modalités fixées par un arrêté ministériel pas encore publié. Les professionnels de la maternité devront faire partie des évaluateurs, qu’il ne s’agisse pas exclusivement d’une évaluation administrative et économique. Les délais sont très courts pour mettre en route cette expérimentation, les dossiers doivent être déposés pour le 15 septembre pour un début avant le 6 décembre 2015 date butoir définit par la loi. Il y aura peu de maisons de naissance en expérimentation en France.

Le vrai problème de santé publique est ailleurs

L’expérimentation des maisons de naissance, phénomène qui restera numériquement anecdotique, est fortement médiatisée. Il ne doit pas cacher le vrai problème de santé publique, que pose l’émancipation des sages-femmes au sein des maternités qui assureront 95% des naissances en France. La réorganisation de ces équipes pluridisciplinaires selon des règles qu’il reste à préciser, mais qui ne seront plus celles du siècle dernier est beaucoup plus complexe à équilibrer et sera d’un impact bien supérieur sur la sécurité de la naissance en France. Il ne devra pas être tranché par la loi mais résolu par l’intelligence des professionnels de la naissance.

Docteur Bertrand de Rochambeau
Président du SYNGOF

Références : Cahiers des charges -rapport d’élaboration -maisons de naissances sur le site de l’HAS : www.has-santé.fr

Décret no 2015-937 du 30 juillet 2015 relatif aux conditions de l’expérimentation des maisons de naissance LOI n° 2013-1118 du 6 décembre 2013 autorisant l’expérimentation des maisons de naissance (1) sur le site Legifrance : www.legifrance.gouv.fr

 

 

Les maisons de naissance : Quand l’administration assume la démédicalisation de la naissance, les mères et les nouveau-nés profitent de la baisse du risque iatrogène et se surexposent au risque vital.

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