Périnatalité : un rapport qui appelle des solutions régionalisées

Interview du Docteur Bertrand de Rochambeau, gynécologue obstétricien, Président du SYNGOF

Le 20 septembre dernier, Santé Publique France publiait son rapport de surveillance de la santé périnatale en France.  Une analyse multi sources à échelle nationale et régionale permet de présenter, pour la première fois, son évolution pour la période 2010-2019. Les résultats montrent que si certains indicateurs de santé périnatale témoignent d’un niveau élevé et stable de prise en charge en France, les analyses plus fines mettent en évidence une situation hétérogène entre les territoires. Elles témoignent également d’une situation préoccupante de la santé périnatale de façon globale en France.

Bertrand de Rochambeau, qui nous alertait déjà sur le naufrage des maternités dans son édito cet été, nous livre aujourd’hui son analyse sur les fortes lacunes et disparités régionales mises en évidence dans ce rapport. 

S : Ce rapport de Santé Publique France est-il révélateur de la dégradation de l’offre de soins dans les maternités ?

B de R : ce rapport montre qu’on ne progresse plus dans la santé périnatale, tant sur le plan de la mortalité périnatale qui stagne, voire s’altère, que sur le plan de la mortalité maternelle. La périnatalité suit un gradient socio-économique majeur qui se décline aussi bien entre les différentes régions de France qu’au sein d’une même région selon le niveau socio-économique des patientes. Ceci remonte globalement aux années 2010.

Toutefois, si Santé Publique France constate la réduction significative du nombre de maternités[1], le rapport la justifie par une diminution régulière du nombre de naissances vivantes en France métropolitaine (d’environ 12% depuis 2010) et ne pointe pas la dégradation de l’offre de soins.

Il est pourtant intéressant de montrer le parallèle qu’il y a entre cette raréfaction de l’offre et l’altération des résultats en périnatalité, sans toutefois dire que l’un est responsable de l’autre.

Les liens qui existent entre les 2 phénomènes sont les suivants :  d’une part en raison de l’insatisfaction croissante des soignants dans les maternités qui subsistent. Avant la crise du COVID-19 en 2018 et 2019, les sage-femmes par leurs mouvements de grève, comme les médecins, dénonçaient au ministère de la santé la dégradation critique de la qualité de leurs conditions de travail. Et on connait le lien fort entre les mauvaises conditions d’exercice et l’altération de la qualité des soins. Et d’autre part parce que le nombre de gynécologues obstétriciens va continuer de baisser pendant environ cinq ans, le temps que la relève arrive. Rappelons qu’à l’heure actuelle, un quart des obstétriciens libéraux ont plus de 65 ans et la moitié ont plus de 60 ans. La situation dans les maternités publiques est plus favorable, mais les soignants les quittent.

S : La baisse du nombre de maternités est-elle la seule explication à cette disparité des résultats en périnatalité ? 

B de R : ce qui est en cause c’est surtout l’organisation de l’offre de soins, comme on peut l’observer en ce qui concerne la mortalité maternelle. Sur ce plan, les résultats montrent  qu’il y a deux régions de l’hexagone qui ont les moins bons résultats : la Bourgogne-Franche-Comté et l’Ile-de-France. La première est un modèle de désert médical, les ressources présentes sur le territoire sont très éloignées les unes des autres et c’est une région rurale qui comporte beaucoup de montagnes. Le modèle s’est dégradé, il ne s’est pas adapté et les résultats en mortalité maternelle sont les moins bons de l’hexagone (indicateur 2, page 117 du rapport).

Plus surprenant, l’Ile-de-France est une région dont on ne peut pas dire qu’elle manque de ressources, puisqu’elle constitue la plus grosse concentration en médecins spécialistes universitaires d’Europe. Mais la mortalité maternelle y est pourtant plus élevée de 30% que la moyenne des autres régions de l’hexagone. Cela s’explique par la répartition de l’offre : des études que l’URPS Ile-de-France avait confiées à l’Inserm montrent que les patientes meurent ou vont en réanimation à la suite d’accouchements qui ont lieu en périphérie de Paris et pas dans Paris. La restructuration depuis début 2000 des maternités en Ile-de-France a en effet vu se développer des maternités à haut débit en 1ère couronne et 2ème couronne avec des équipes souvent sous dotées, ou, quand elles sont dotées, constituées de personnel médical non universitaire. Or ce sont ces maternités qui sont en première ligne pour accueillir les femmes les plus socialement défavorisées.

Concernant la mortalité néonatale (indicateur 2, page 129 du rapport), les régions les plus impactées sont les régions et départements d’Outre-Mer, au premier rang desquels Mayotte qui a une structure particulière car plus de la moitié des parturientes sont des immigrées clandestines qui arrivent des Comores. Il y a un seul hôpital, sans universitaires, qui est débordé et manque de tout. Le 2ème département  est la Guyane dont 40% de la population provient des pays avoisinants. Les trois maternités du département sont sous dotées en personnel médical et en sage-femmes pour faire face à cet afflux et il y a très peu de néonatologues. Nous n’avons pas la réponse à l’heure actuelle pour fournir les moyens adaptés à la situation. Même si des solutions locales sont en cours de mise en place, notamment en Guyane avec le projet d’hôpitaux de proximité qui seraient tenus par des sage-femmes et des médecins urgentistes.

Dans l’hexagone, les régions où les résultats stagnent ou s’altèrent correspondent aux grands bassins de population les plus défavorisées (le Nord, la région parisienne dans sa périphérie et la métropole marseillaise). On y recense une grande part de femmes qui n’ont pas de domicile fixe[2], notamment en Ile-de-France où cela concerne 2,28% des patientes prises en charge, soit 4 fois plus qu’en 2015 : ces femmes ont beaucoup de mal à se faire suivre et ne bénéficient pas du modèle qui prévoit que dès la déclaration de grossesse, on ait une visite mensuelle, avec l’accès si nécessaire à des soins ambulatoires, sans parler de l’accès à une bonne contraception et à la préparation à la maternité.

S : Quels enseignements peut-on en tirer pour les futurs décrets d’autorisation des maternités ?

B de R : le rapport précise : « l’évolution de certains indicateurs témoigne d’une situation préoccupante de la santé périnatale de façon globale en France, comme l’augmentation de la mortalité néonatale, ou de façon plus spécifique et défavorable dans les DROM pour d’autres indicateurs. Ils sont à mettre en regard des différents déterminants tels les facteurs de risques, le contexte démographique, socio-économique et géopolitique, l’accès aux systèmes de santé et sa capacité à répondre aux besoins. » Cette capacité à répondre aux besoins doit être améliorée significativement.

On vit sur un modèle d’organisation sanitaire pour les maternités qui reposent sur les décrets de 1998 qui n’ont pas été revus depuis. La situation est dégradée, le rapport INSERM de 2021 établissait le taux de recours à l’intérim, plusieurs fois par mois à environ 30% pour les GO, les ARE, les pédiatres et les sage-femmes. Or des nouveaux décrets ont été travaillés depuis quatre ans, auxquels le SYNGOF a contribué avec les autres représentants de la profession. Ils étaient prévus pour sortir en 2020 mais ont été repoussés en raison des élections nationales qui ont émaillé l’année 2021. Dans le courant de l’été 2022, les décrets sont sortis pour les activités de médecine autorisés et la cancérologie, ceux pour la chirurgie sortent cet automne, mais ceux des maternités sont repoussés sine die. En cause : les divergences entre la DGOS et les professionnels concernant les ratios de personnels soignants. Car si nous fermons des maternités, c’est parce que nous n’avons plus assez de soignants (gynécologues obstétriciens, pédiatres, anesthésistes, sage-femmes).

L’ensemble des acteurs qui ont participé à la mise au point de ces décrets ont tous, unanimement demandé à ce que les ratios de personnels soignants par patiente soient augmentés dans les maternités. Tant que cela n’est pas acté, les hôpitaux n’ont pas les budgets pour recruter plus et la situation ne peut pas se débloquer.

L’enseignement principal de ce rapport est qu’il est primordial de faire évoluer les décrets d’autorisation des maternités, de remettre de l’argent dans les maternités pour qu’elles puissent répondre au défi qui est devant nous pour prendre en charge correctement, dans les bassins les plus en difficultés, les patientes qui en ont besoin.

Nous appelons de nos vœux que dans ces régions les quotas soient différents de ceux des régions où on n’observe pas cette surmortalité et cette dégradation de la médecine périnatale.

On s’aperçoit que le dogme de l’état centralisateur, qui érige la décision prise au niveau national comme garante de l’égalité pour tous, ne fonctionne pas et que les soins doivent être prodigués avec les moyens adaptés aux besoins des régions. Si on ne peut pas augmenter partout les critères, faute de moyens, les augmenter dans les territoires où cela est nécessaire est indispensable.

 

[1] Depuis 1995, le nombre de maternités a été réduit de près de 50%. Au 15 mars 2021, la France métropolitaine comptait 456 maternités et 6 maisons de naissance contre 497 maternités en mars 2016 soit 8,2% de maternités en moins en 5 ans (Rapport 2021).

[2] La part des femmes déclarant vivre dans un foyer d’accueil ou à l’hôtel a augmenté passant de 0,8% en 2016 à 1,5% en 2021 (Rapport 2021).

Télécharger le Rapport Surveillance périnatale de 2022

Télécharger l’Enquête Nationale Périnatale de 2021

Périnatalité : un rapport qui appelle des solutions régionalisées

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