Développer l’aide à la formation médicale dans les pays émergeants passe par une mobilisation plus forte en faveur de l’enseignement des surspécialités

Interview du Dr Stephan BRETONES* 

Engagé dans l’association Chirurgie Solidaire, le Dr Stephan BRETONNES nous explique l’évolution de la demande des pays émergeants pour un enseignement de surspécialités et revient sur les difficultés à mobiliser les médecins non universitaires.

SYNGOF : Vous êtes engagé dans l’association Chirurgie Solidaire. Quelles évolutions avez-vous pu observez dans les pays africains où vous intervenez ?

Stephan Bretones : depuis sa création en 2004, l’association Chirurgie Solidaire intervient en Afrique pour former les équipes médicales à la chirurgie essentielle. Depuis le monde a évolué et il y a de plus en plus d’universités en Afrique qui forment  leurs propres médecins et chirurgiens. Le besoin d’enseignement de la chirurgie essentielle reste néanmoins présent et les demandes de formation émanent aujourd’hui des universités africaines qui peinent à envoyer leurs propres enseignants dans les zones rurales. Aujourd’hui nous sommes donc en pleine réflexion : est-ce encore notre rôle d’aller former des infirmiers ou des médecins généralistes à la chirurgie essentielle alors qu’il y a déjà des professeurs de chirurgie dans ces pays ? 

SYNGOF : Justement, ces pays vous sollicitent-ils toujours pour faire de l’enseignement ?

Stephan Bretones : les universités africaines forment aujourd’hui leurs médecins et leurs chirurgiens. Ce qu’elles demandent ce sont des formations en surspécialités pour obtenir notre niveau de compétences dans des domaines plus pointus. Notre rôle ne doit donc plus se limiter à la chirurgie essentielle en zone rurale, mais nous devons accepter de les accompagner dans la mise en place de formations de surspécialité auxquelles ils aspirent. En novembre 2016, avec Bertrand de Rochambeau et Georges Mellier et par le biais de Chirurgie Solidaire, nous avons participé à la mise en place d’une formation universitaire sur 2 ans en chirurgie uro-gynécologique à Jimma en Ethiopie. Aujourd’hui nous en sommes à la 4ème promotion alors que nous ne faisons plus l’enseignement nous-mêmes et cette formation à la chirurgie du prolapsus par voie vaginale s’étend à d’autres universités du pays et de la sous-région actuellement.

Depuis, nous avons été sollicités pour d’autres enseignements de surspécialité dans d’autres domaines de la chirurgie ou de la médecine : onco-urologie, neurochirurgie du rachis, endoscopie interventionnelle, cardiologie interventionnelle… Mais actuellement nous ne pouvons répondre aux demandes que par nos propres réseaux.

Si nous voulons développer l’aide à la formation médicale dans ces pays, il est vital de mettre en place un fichier national pour être en mesure d’identifier et de solliciter des médecins susceptibles de répondre favorablement à une demande de formation spécifique d’une université africaine. Pour atteindre l’ensemble de nos confrères, il faut que nos institutions nationales se donnent les moyens en utilisant les sociétés savantes de spécialités, les collèges, les syndicats de spécialités,…, mais aussi en approchant les praticiens du public comme du privé par des conférences dans les hôpitaux. L’objectif est de sensibiliser et de recruter des personnes compétentes dans toutes les spécialités qui seraient d’accord pour se rendre disponibles quelques jours par an pour assurer des formations pratiques (et théoriques) au sein d’universités africaines.

SYNGOF : Comment l’enseignement est-il structuré sur place ?

Stephan Bretones : je pense qu’actuellement, il y a deux types de partage des connaissances nord-sud en Afrique : l’enseignement universitaire avec des professeurs d’universités africaines qui sont souvent passés par la France et qui ont des liens avec des professeurs d’universités français qu’ils invitent pour des conférences ou de courts séjours, et l’enseignement en zone rurale (ou simplement dans les zones sans université) par des médecins ou des chirurgiens non universitaires qui assurent davantage une formation pratique de compagnonnage.

Le problème des formations non universitaires c’est qu’elles ne sont pas pérennes et qu’elles ne délivrent pas de diplôme qui peut ensuite être valorisé. C’est souvent du « one shot » et il n’y a que peu de suivi car ce dernier dépend d’un financement qui se termine à court ou moyen terme. Lorsque nous arrivons à mettre en place une formation dans une université, cette formation est inscrite dans le financement de l’université et est ainsi reconduite chaque année avec de nouveaux diplômés qui pourront diffuser leurs compétences auprès de leurs confrères.

Les pays africains ont encore besoin d’enseignants venant du nord pour mettre en place des formations surspécialisées sur place en collaboration avec les universités locales. Or je me suis rendu compte qu’il y a une certaine réticence des chirurgiens non universitaires à faire de l’enseignement chirurgical dans un milieu universitaire. N’étant pas universitaires, Ils se sentent moins légitimes pour assurer un enseignement  alors que bien souvent, dans leur pratique quotidienne, ils continuent à former internes et assistants dans leurs hôpitaux non universitaires du public comme du privé.

SYNGOF : A qui selon vous revient le rôle de solliciter ces médecins et les inciter à venir enseigner ? Est-ce le rôle d’une association comme Chirurgie solidaire par exemple ?

Stephan Bretones : il faut qu’il y ait au tout d’abord une volonté forte au niveau de notre pays de formaliser un partage de savoir et de compétences sur place dans les pays africains avec lesquels nous sommes en contact. C’est donc quelque chose qui doit être discuté dans le cadre d’un partenariat tripartite entre le ministère de l’enseignement supérieur pour le côté universitaire, le ministère de la Santé pour atteindre tous les médecins, y compris non universitaires, et le ministère des affaires étrangères qui, par le biais des ambassades, est en capacité de faire remonter les demandes locales. Et bien entendu, les associations comme Chirurgie Solidaire ou dans le cadre de notre spécialité, comme Gynécologues Sans Frontières, peuvent ensuite y être associées  dans la mesure où elles endossent déjà ce rôle en divers endroits de façon autonome.

Mais le préalable est toujours qu’il y ait une demande de l’équipe médicale locale pour une formation de surspécialité, couplée à un engagement de la structure universitaire administrative locale pour faciliter la logistique et à un engagement financier qui lui permet de garder la main sur la périodicité et la durée de la formation.

Il est important que la formation se fasse sur place, dans le cadre universitaire, ce qui permet de former plus de médecins et à moindre coût. Cela permet aussi de pérenniser la formation qui sera ensuite autonome. Il faut rappeler que ces universités, lorsqu’elles envoient leurs médecins se former à l’étranger, ne voient pas toujours revenir leurs spécialistes, que ce soit pour assurer la formation de leurs confrères ou même pour pratiquer dans leur pays alors que le coût de leur formation a été très élevé.

SYNGOF : Qui est légitime pour solliciter les ministères ? 

Stephan Bretones : sans appui ou mandat politique, la sollicitation individuelle a peu de chances d’aboutir. Cela doit donc passer par des institutions qui ont pignon sur rue et qui sont déjà en contact avec ces ministères. Cela pourrait aussi être le fait d’une spécialité particulière qui pourrait tester un nouveau programme de mise  à  disposition de praticiens pour de l’enseignement de surspécialité en Afrique.  Nous pouvons envisager que les gynécologues portent le projet. Le CNGOF doit certainement y être associé mais pas seulement : le SYNGOF pourrait être force de proposition car il faut à la fois des universitaires et des non universitaires. Nous pourrions donc suggérer que nos ambassades informent les universités africaines avec qui elles sont en contact, de la mise à disposition de praticiens pour des formations spécifiques sur place dans le domaine de la maternité et de la périnatalité.

Mais parallèlement à cette phase test, je souligne la nécessité de formaliser au niveau national un annuaire des médecins volontaires dans chaque spécialité. Il existe un projet au niveau de l’Europe de faire ce type d’annuaire mais ce projet rencontre des difficultés liées aux différences entre les systèmes de santé dans les états de l’Union. Il me semble que le préalable serait de réaliser ce type d’annuaire à l’échelle nationale pour le standardiser ensuite au niveau de l’Europe.

*Le docteur Stephan Bretones est gynécologue obstétricien, chef du service de Gynécologie Obstétrique de l’hôpital St Joseph St Luc à Lyon, membre du CA de Chirurgie Solidaire et engagé depuis de plusieurs années dans l’enseignement de l’urogynécologie dans plusieurs pays d’Afrique et d’Amérique du Sud.

Partir en mission avec Chirurgie Solidaire : https://www.chirurgie-solidaire.com/partir-en-mission-humanitaire-avec-chirurgie-solidaire

Développer l’aide à la formation médicale dans les pays émergeants

Facebook
Twitter
LinkedIn