Violences conjugales et dérogation au secret médical : les évolutions de la législation

La loi du 30 juillet 2020 prévoit une nouvelle dérogation au secret professionnel, complétant celles listées à l’article 226-14 du code pénal. Ainsi, lorsqu’une victime de violences au sein du couple se trouve en situation de danger immédiat et sous emprise, le professionnel de santé peut désormais signaler la situation au Procureur de la République.

Décryptage avec le Pr Pauline Saint-Martin, cheffe de service Institut médico-légal au CHU de Tours.

SYNGOF : Peut-on rappeler en quelques mots la mission du professionnel de santé dans le repérage des violences intrafamiliales ?

 Pr Saint-Martin : ces dernières années, le rôle du professionnel de santé était essentiellement centré sur le dépistage des violences intrafamiliales et l’accompagnement de sa patiente : ainsi, tout médecin doit savoir repérer les femmes et les mineurs victimes de violences intrafamiliales, rédiger le certificat descriptif et orienter les victimes. La réflexion s’est portée sur la place des professionnels de santé dans le signalement de ces violences au regard du secret médical.


SYNGOF : Que change la loi du 30 juillet 2020 ?

Pr Saint-Martin : auparavant, les dérogations concernant le secret professionnel étaient : une suspicion de violences chez le mineur ou le majeur en incapacité physique ou psychique, ainsi qu’une suspicion de violences chez la personne majeure si celle-ci donnait son accord. Bien sûr, le médecin devait prendre en compter le danger imminent qu’il pouvait identifier, mais cela ne figurait pas de manière explicite dans cet article de loi.

La loi du 30 juillet 2020 modifie les dispositions de l’article du code pénal et prévoit une nouvelle dérogation au secret professionnel dans la situation d’une personne majeure victime de violences au sein du couple, lorsque ces violences mettent la vie de la victime en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences.

Dans cette situation, le professionnel de santé peut, en conscience, porter à la connaissance du procureur de la République cette situation sans avoir préalablement obtenu le consentement de la victime mais après l’avoir recherché. Il doit toutefois l’informer du signalement.

Attention : cette dérogation n’est applicable qu’aux violences constatées au sein du couple. Par exemple, si les violences sont du fait des enfants, la dérogation ne s’applique pas : le médecin reste tenu à l’obligation du secret médical et il peut accompagner sa patiente vers le dépôt de plainte.


SYNGOF : Comment le médecin peut-il évaluer ces notions de danger immédiat et d’emprise ?

Pr Saint-Martin : le médecin doit évaluer la situation. Certains critères ne relèvent pas que de l’appréciation médicale au sens strict. Cependant, la rédaction du signalement doit être neutre, sans désigner d’auteur, sans subjectivité sur la situation. Pour accompagner les soignants dans la mise en place de cette nouvelle loi, un vade-mecum* a été élaboré en lien avec le conseil national de l’Ordre des médecins et la haute autorité de santé. Ce vade-mecum comporte un modèle de fiche de signalement. En annexe figure un outil d’évaluation du danger et de l’emprise pour aider le médecin dans cette appréciation.

https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external-package/rapport/1xufjc2/vademecum_secret_violences_conjugales.pdf

Beaucoup de départements ont également mis en place des procédures et le médecin pourra s’y référer en se rapprochant de la Préfecture ou du Conseil départemental de l’ordre des médecins.


SYNGOF : La fiche de signalement est-elle distincte du certificat descriptif ?

Pr Saint-Martin : oui, la fiche de signalement a pour vocation d’être transmise directement au Procureur de la République. Le certificat médical descriptif quant à lui doit être conservé dans le dossier médical de la patiente. Tout comme le signalement judiciaire, il est capital de bien le rédiger car il constitue un élément de preuve en cas de dépôt de plainte par la patiente, même si ce dépôt de plainte intervient plus tard. J’encourage les praticiens à le rédiger avec objectivité en décrivant les symptômes et les lésions traumatiques sans les interpréter, avec le plus de précision possible. La prise de photographies des lésions, avec l’accord de la patiente, est recommandée.


SYNGOF : Le médecin peut-il être accompagné dans sa démarche ?

Pr Saint-Martin : lorsqu’on travaille en équipe dans un établissement hospitalier, on peut demander conseil à un ou une collègue, à une structure « Maison des femmes » ou des Unités médico-judiciaires. Ces unités peuvent également aider les médecins exerçant en cabinet libéral. Il est essentiel de ne pas se laisser déborder par l’émotion, qui perturbe la prise de décision et la manière de rédige. Le médecin peut également prendre conseil auprès du Conseil départemental de l’Ordre.

La prise en charge des victimes s’est structurée depuis 2019 ; avec les maisons des femmes** et les Unités d’accueil pédiatrique Enfance en Danger (UAPED) dans les départements. Ces structures permettent à tous les praticiens de proposer aux patientes qui le souhaitent, une prise en charge globale des conséquences des violences subies par elles et leurs enfants.

** https://lamaisoncalypso.com/le-reseau-maison-des-femmes/

En effet, il faut toujours penser aux enfants impactés par les violences au sein du couple parental et qui, à ce titre, sont également considérés comme des victimes. Le médecin peut adresser les enfants aux UAPED. Les situations où la femme refuse le dépôt de plainte, sans qu’il y ait de danger immédiat, mais où il existe des enfants co-victimes qui pourraient être signalées, sont difficiles. Les praticiens confrontés à ces situations doivent « passer la main » aux structures citées ci-dessus, pour une évaluation et une prise en charge en interdisciplinarité.

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