• Le Comité de défense de la gynécologie médicale (CDGM), rappelons-le, a été créé par des femmes et des gynécologues en 1997 pour le rétablissement de la spécialité de gynécologie médicale, assurant prévention et soins par le suivi gynécologique des femmes tout au long de leur vie, spécialité dont le diplôme avait été supprimé dans le plus grand silence en 1987. La pétition du CDGM réclamant son rétablissement ainsi que l’accès direct aux gynécologues allait susciter l’extraordinaire mobilisation que l’on sait des femmes et des gynécologues (3 millions de signatures et plusieurs manifestations nationales) : en 2003, après 17 ans d’interruption, la formation à la spécialité était rétablie, avec un diplôme spécifique. Mais avec ensuite 20 à 30 postes d’internes seulement par an, alors qu’avant 1987 il en était ouvert chaque année 140.
    Depuis, le combat du CDGM pour la santé des femmes, pour la formation du nombre de médecins nécessaires et le libre accès aux gynécologues, n’a jamais cessé, on l’a vu encore ces derniers mois.
  • C’est pourquoi le bureau du CDGM a estimé nécessaire de soumettre à la réflexion de tous quelques éléments de sa réflexion sur la loi du 6 décembre autorisant l’expérimentation des «maisons de naissance», son extrême inquiétude devant les dispositions qu’elle contient et sa crainte de conséquences graves pour la santé des femmes.
  • Il faut rappeler que cette expérimentation avait été intégrée en octobre 2010 dans le cadre de l’article 40 du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2011. Très contestée, elle avait été repoussée par le Sénat puis réintroduite par l’Assemblée Nationale et enfin censurée par le Conseil constitutionnel. Mme Touraine prend aujourd’hui l’énorme responsabilité d’autoriser à nouveau l’expérimentation.
  • Le CDGM a décidé, en conséquence, d’alerter les femmes, les médecins, les professionnels sur les dangers de cette loi.

Qu’est-ce qu’une «maison de naissance» ?

La loi est extrêmement courte, avec 5 articles. Elle permet au gouvernement de créer «des structures dénommées maisons de naissance» «où des sages-femmes réalisent l’accouchement des femmes enceintes dont elles ont assuré le suivi de grossesse».
Cela répondrait à la demande de parents qui, selon le rapport de la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée nationale, «rejettent le cadre très normé, standardisé et dénué d’empathie qui préside désormais à l’accouchement *».
Chacun est libre d’avoir son opinion, ses croyances, sur l’accouchement et la naissance. Cela constitue-t-il un critère pour l’action publique ?
On peut s’interroger, d’autant que, selon le rapport de la Cour des Comptes, pourtant favorable à l’expérimentation, cette demande est très nettement minoritaire.
Pourquoi cette loi ? Parce que la «maison de naissance» déroge à toutes les dispositions actuelles en matière d’accouchement. Aujourd’hui, les accouchements se font en établissements de santé, seuls en capacité d’assumer toutes les conséquences. Or la maison de naissance n’est pas un établissement de santé, c’est «une association» ou «une société d’exercice libéral» ou «une société civile de moyen».
En clair, dans un lieu dit, des sages-femmes, exerçant à titre libéral, pratiqueraient des accouchements «comme à la maison» pour reprendre l’exigence de certains. Cette expérimentation nous semble, en réalité, une véritable externalisation de l’accouchement.

Avec deux premières conséquences majeures :

a) Seules peuvent accoucher dans ces «maisons de naissance» des femmes sélectionnées comme présentant une grossesse à bas risque.
Cette condition, sur laquelle le débat a été vif, est plus que sujette à caution.
L’Académie de médecine avait, lors de la discussion sur l’article 40 du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2011, fait connaître son désaccord : «Grossesse à bas risque ne signifie pas absence de risque au cours de l’accouchement et de complications imprévues au cours du travail (problèmes de dilatation du col, retard à l’expulsion de l’enfant, souffrances foetales plus ou moins brutales et, du côté de la mère, déchirure du périnée, hémorragie de la délivrance)».
Dans les faits, toujours selon la Commission des Affaires sociales, sur 227 prises en charge «comme à la maison», 76 ont fait, finalement, l’objet d’un transfert en service de maternité, soit un taux, important, de 33,5%. Ce qui est très important et confirme l’analyse de l’Académie de médecine.
Pour répondre à cette situation, la loi fixe comme limite à la création d’une maison de naissance qu’elle soit «contiguë» à une maternité. Quelles garanties cette notion de «contiguïté» présente-t-elle dans cette situation où, en 2014 comme dans les années précédentes, les maternités continuent de fermer, comme on le voit avec celle de Dourdan ? Car c’est bien là une donnée essentielle de la situation vécue aujourd’hui par les femmes. Selon la Commission des Affaires Sociales :
«La proportion d’accouchements ayant lieu dans des maternités réalisant moins de 1 000 accouchements par an est par ailleurs passée de 25,3 % à 17,4 %, alors que la proportion d’accouchements réalisés dans des maternités en assurant plus de 3 000 par an est passée de 8 % à 18,8 %. Il s’agit là d’une évolution considérable résultant en partie des fermetures et des fusions de maternités : entre 2003 et 2010, le nombre de maternités est en effet passé de 618 à 535. Rappelons qu’il y avait en métropole 1 747 maternités en 1972 et 1 128 en 1981.»
b) Les femmes qui accoucheraient dans ces maisons de naissance rentreraient tout de suite à la maison.
Comme l’explique la Commission des Affaires Sociales : «Les maisons de naissance qui ne sont pas assimilées à des établissements de santé n’offrent pas de capacité de séjour : le retour à la maison après l’accouchement est anticipé et organisé afin de favoriser l’accompagnement postpartum dans le cadre d’une sortie très précoce (environ 12 heures après la naissance) et d’un suivi à domicile quasi-quotidien.»
Il s’agit bien d’accoucher «comme à la maison» puisque les maisons de naissance ne seront pas habilitées à héberger les parturientes.
Cette question du retour immédiat à la maison a suscité, en novembre 2012, une réaction extrêmement ferme de plusieurs sociétés savantes (la Société Française de Médecine Périnatale, le Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français, la Société Française de Pédiatrie, la Société Française de Néonatologie, l’Association Nationale des Puéricultrices Diplômées et des Etudiants) à la suite de la mise en place par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie du programme PRADO ( Programme d’accompagnement du retour à domicile) : «Le suivi immédiat de l’enfant nouveau-né, y compris après une grossesse considérée comme a priori normale, est généralement considéré comme un aspect particulièrement délicat de la protection maternelle et infantile, de la prévention périnatale et de la prise en charge pédiatrique. Il mobilise l’expérience des praticiens, face à des notions d’évaluation de risque, des signes ou symptômes avant-coureurs discrets, et à la difficulté de leur interprétation. Il s’agit en particulier du risque d’infection néonatale retardée, de décompensation d’anomalies constitutionnelles telles que l’hyperplasie congénitale des surrénales, de la détection de certaines cardiopathies congénitales en l’absence de diagnostic prénatal, du risque d’hyperbilirubinémie secondaire. Chacune de ces anomalies peut produire des conséquences responsables d’un handicap la vie durant. Si la fréquence de ces cas est faible, leur importance au titre individuel est évidente, et sur le plan de la santé publique, elle se situe bien au niveau des indicateurs de mortalité et morbidité périnatale, qui sont de l’ordre de quelques unités pour mille naissances. Ce suivi immédiat de l’enfant mobilise également les puéricultrices des services de PMI, en termes de prévention et d’éducation aux familles, avec une attention particulière sur la mise en place des liens d’attachement et l’accompagnement à la parentalité. (…) Pour l’ensemble de ces raisons, les signataires de ce communiqué expriment la plus grande réserve sur les conséquences de l’introduction du programme PRADO de la CNAM sur la santé de la mère et de l’enfant en France.»
Or ce programme de la CNAM prévoit un retour anticipé deux jours après la naissance. Avec la loi du 6 décembre, il ne s’agit pas de deux jours, il s’agit de… 12 heures !
Les spécialistes le disent nettement : il y a danger.
Danger pour les femmes et danger pour les bébés.
C’est donc une responsabilité majeure que prend la ministre. Il s’agit, nous dira-t-on, d’une expérimentation. Ce ne serait malheureusement pas la première fois que ce mot d’expérimentation est utilisé pour faire accepter une vraie remise en cause des acquis de santé.
Peut-on se permettre d’expérimenter avec la santé des femmes et des bébés ?
Non seulement l’expérimentation présente des dangers réels, graves, mais, en outre, se dessine, derrière cette expérimentation, une véritable stratégie en matière de système de soins.

« Liberté de choix » ou « nouvelle organisation » du système de soins ?

Lors de la discussion à l’Assemblée sur les maisons de naissance, et toujours selon la Commission des Affaires Sociales : «La ministre de la Santé, Mme Marisol Touraine, s’est elle-même montrée extrêmement constructive, faisant preuve au cours de la discussion d’une compréhension aiguë des enjeux. Elle a ainsi souligné que si sa première préoccupation était la sécurité des naissances, la «qualité du moment de la naissance» devait également être considérée comme une priorité, soulignant qu’ «au fond, comme dans beaucoup de domaines, la question est celle de la liberté de choix». «Même si l’on n’est pas convaincu par le progrès que pourraient représenter les maisons de naissance, pourquoi considérer que celles-ci seront contraires aux intérêts des femmes qui feront d’autres choix ? Les femmes qui souhaitent accoucher dans un environnement médicalisé pourront toujours le faire et celles qui souhaitent accoucher au sein d’une unité physiologique doivent pouvoir le faire : voilà la démarche que je privilégie. Il me semble en effet qu’il y a la place nécessaire pour diverses approches et expériences.»
Il s’agirait donc simplement de garantir la liberté de choix à ceux, rappelons-le minoritaires, qui veulent revenir «comme à la maison » ?
Non. Au travers de cette loi, il nous semble que c’est tout autre chose qui se prépare. Le fait que l’autorisation de l’expérimentation des maisons de naissance coïncide, dans le temps, avec le débat sur la place des sages-femmes ne semble pas résulter du hasard.
Dans la discussion à l’Assemblée Nationale, des questions de fond ont été soulevées. Selon un parlementaire : «Non seulement les maisons de naissance offriront un nouveau mode de prise en charge de la grossesse, mais elles seront source d’importantes économies, ce qui n’est pas à négliger vu l’importance du déficit de la sécurité sociale. Le coût d’un accouchement est évalué à 600 euros en maison de naissance, contre 1 200 dans le cadre d’une hospitalisation de courte durée et 3 000 dans le cadre d’une hospitalisation de 4,4 jours, ce qui correspond à la durée moyenne observée. Au total, nous réaliserions une économie de près de 30 millions d’euros par an.»
C’est donc de cela qu’il s’agit ? Des économies qui peuvent être réalisées ?

  • Économies sur la durée des séjours.
  • Économies sur la formation des professionnels de santé, comme l’indique un autre parlementaire : «Pour des raisons de démographie de la profession de gynécologue-obstétricien, les sages-femmes seront vraisemblablement appelées à jouer un rôle prépondérant dans le suivi des grossesses et des accouchements à l’avenir. La France compte aujourd’hui plus de 20 000 sages-femmes en activité, dont la moyenne d’âge est de quarante et un ans, et seulement 4 200 gynécologues-obstétriciens, dont 30 % ont plus de cinquante ans.»

Comment ne pas voir dans cette déclaration la tentation de remplacer les médecins «longs et chers à former» par des praticiens moins coûteux ?
Avec une conséquence qui interpelle le CDGM : le rapport 2011 de la Cour des Comptes qui a manifestement inspiré le projet de loi sur les maisons de naissance soulève une question : «Dans certains pays comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, l’entrée dans la filière obstétrique n’est prise en charge que lorsqu’elle passe par une sage-femme, sauf pathologie avérée. Aux Pays-Bas, si une patiente veut consulter un gynécologue pour sa grossesse sans raison médicale, l’assurance maladie ne prend pas en charge la consultation.»
Comme l’a dit un parlementaire : «On pourrait imaginer à l’avenir un parcours de soins des femmes enceintes faisant de la sage-femme le professionnel de premier recours en cas de grossesse physiologique et de la maison de naissance tant hospitalière que libérale, le lieu d’accouchement de référence pour les femmes qui désirent bénéficier d’un accompagnement global.»
C’est donc le libre accès au médecin qui est en jeu, libre accès dont la défense est inséparable de la constitution même et de l’activité du CDGM depuis 1997. L’expérimentation ouvrirait donc la voie à un bouleversement de notre système de soins «à la française», fondé sur la complémentarité entre les professionnels de santé.
Le CDGM a déjà alerté sur cette dérive.
En particulier c’est la première fois qu’est proposé qu’une femme retourne chez elle au bout de douze heures.
C’est à nos yeux une régression et un danger pour la santé des femmes.
Le bureau national du CDGM,
Paris, le 14 janvier 2014

 * Ce cadre n’est-il pas celui des « usines à bébés », conséquence de la fermeture en nombre des petites maternités ?

Loi du 6 décembre 2013 autorisant l’expérimentation des maisons de naissance – Le point de vue du CDGM

Facebook
Twitter
LinkedIn